La LEGENDE des TAROTS
Remontons dans le temps.
Reportons-nous jusqu'au XIème siècle, un peu avant les croisades. L'ancienne société occidentale qui puisait ses sources spirituelles dans l'union du christianisme et du druidisme, lui-même issu du mégalithisme néolithique, s'effondre.
Cette alliance datait de Saint Colomban, dernier druide principal du grand collège celtique de Bankor en Irlande, et de Saint Benoît.
Ensemble, au VIème siècle, ils avaient renouvelé le monachisme occidental en fondant la règle dite de Saint Benoît et l'ordre bénédictin, calqué sur l'organisation druidique préexistante.
Alors, vers 1050, le sacré étend à nouveau ses ailes sur l'occident.
Pourquoi le sacré s'incarne-t-il en une certaine époque, en un certain lieu ? Ce sont les mystères de l'Esprit.
Vers 1050, le sacré s'incarne dans la société romane. Partout fleurissent des centres d'enseignement, des ermitages. Une sorte de folie se répand dans l'occident. L'Europe entière se couvre d'églises, de monastères, de cathédrales.
Arrivent Saint-Bernard et les cisterciens, les premières croisades, l'Ordre du Temple. Le temps passe et soudain, on ne sait pas pourquoi, le sacré reflue. Il est définitivement parti le Vendredi 13 Octobre 1307, avec la destruction de l'Ordre du Temple et la mort sur le bûcher en 1314 de Jacques de Molay, dernier grand maître officiel.
Avec la fin de l'Ordre du Temple, ce sont les financiers des cathédrales qui disparaissent, et les bûchers de la Sainte Inquisition qui arrivent.
Alors se pose le problème de la transmission des connaissances sacrées.
Sur les chantiers d'églises et de cathédrales, c'est non seulement l'art de bâtir et de travailler les matériaux qui était transmis, mais aussi, par le biais du travail de la pierre, du bois ou du verre, toute une connaissance sacrée traditionnelle, transmise oralement, de maître à compagnon, de compagnon à apprenti.
La Tradition était dans la pierre, par la pierre. Et tout s'effondre. Brutalement, plus personne ne paye les salaires sur les chantiers. Les compagnons, les maîtres sont pourchassés par l'Inquisition ; ils n'ont plus de travail car leurs patrons, les templiers, sont dans les prisons du roi de France. Alors, ils émigrent.
Tandis que certains rescapés des chefs spirituels et temporels de l'Ordre du Temple se réfugient au Portugal, qui était alors leur propriété, des banquiers, des maîtres bâtisseurs, imagiers et maçons, prennent le chemin de l'Italie du nord et s'éparpillent dans toutes les villes-États de Lombardie, de Vénitie, de Toscane, de Piémont et de Savoie.
Il leur fallait un pays d'accueil pour continuer à travailler. C'est ce qu'ils font.
Pour l'Italie, c'est le début du Quattrocento, pour le Portugal, l'amorce d'une période glorieuse qui donnera à ce petit pays une importance mondiale avec les "grandes découvertes", tandis que la France aborde le siècle le plus sombre de son histoire : la Guerre de Cent Ans, avec son cortège de massacres, d'épidémies et de famines.
Le sacré a reflué de notre pays, qui est livré aux haines fratricides, à la pauvreté et aux désordres, ponctué de calamités effroyables comme la peste noire, qui a décimé la moitié de la population européenne.
En France, plus rien ne subsiste de la période sacrée, sinon les constructions magnifiques, magiques, que sont les églises et les cathédrales. Et la souvenance, la lointaine souvenance de ce qui fut, et, qui sera le terreau de surgeons tardifs. Voilà pour les professionnels qui travaillaient pour l'Ordre du Temple.
Mais, pendant que la démesure du gothique flamboyant étendait son aile sur l'Europe, en abandonnant une partie de l'antique dimension sacrée des sanctuaires, les constructeurs du roman subsistaient.
Ils se nommaient "les enfants de Maître Jacques".
Leurs terres de prédilection étaient le Sud Ouest, les Charentes, la Saintonge, le Poitou, l'Auvergne, la Gascogne.
Lorsque l'Inquisition devint trop féroce, certains d'entre eux restèrent et devinrent "les cagots", d'autres décidèrent aussi d'émigrer. Ils prirent la direction des derniers royaumes francs du Moyen Orient.
Les "enfants de Maître Jacques" étaient de vieux habitués de cette région du monde. Longtemps auparavant, Hiram, seigneur et roi de Tyr, avec sa flotte, avait été chercher le légendaire "Maître Jacques" et ses compagnons, eux les constructeurs, les hommes des grandes pierres, venus du lointain occident, pour construire le temple de Salomon à Jérusalem. Ils étaient, déjà à cette époque, célèbres sur l'ensemble de l'occident et du bassin méditerranéen pour leurs constructions sacrées. Ils avaient la connaissance. Ils étaient reliés à notre mère la Terre et percevaient dans l'intimité de leur corps le flux de la wouïvre, cette énergie subtile, sans laquelle une construction aussi grande et belle qu'elle puisse être, n'était guère plus qu'un hall de gare. Et certains étaient restés sur ces terres orientales en faisant souche.
Ils firent une partie de Byzance et l'ensemble des églises arméniennes de l'époque qui précéda les croisades. Ce sont vers eux que les templiers se sont tournés lorsqu'ils ont eu besoin de connaissances spéciales pour la construction des cathédrales européennes.
Avec les croisades, ils ramenèrent d'Orient les connaissances oubliées permettant l'immense développement des constructions romanes et gothiques, sur le terreau bénédictin techniquement frustre. Lors de la troisième croisade, celle de Philippe Auguste, Frédéric Barberousse et Richard Cœur de Lion, l'île de Chypre fut conquise en 1189 et confiée à une famille féale du roi d'Angleterre : les Lusignan.
Le roi de Chypre, en 1307, était toujours un poitevin de la famille des Lusignan. C'est donc une très longue histoire qui unit les "enfants de Maître Jacques" orientaux et leurs cousins occidentaux.
Entre eux, jamais les relations n'ont été totalement rompues, même dans les périodes les plus troubles de l'Histoire. Une des grandes constantes de notre civilisation occidentale a toujours été la puissance de ses flottes marchandes et son organisation en comptoirs et banques.
En fuyant les bûchers de l'Inquisition, les "enfants de Maître Jacques" savaient parfaitement qu'ils seraient bien accueillis en terre orientale. C'est ainsi que les poitevins amoureux de la fée Mélusine se réfugièrent sur les terres des Lusignan, chez les "cousins" en Petite Arménie, en Cilicie, juste en face de Chypre.
Là-bas, c'étaient les hommes de l'Armen, le lointain "pays de la pierre". Ils étaient arrivés bien des millénaires avant, avec les grandes flottes bretonnes de l'Armor et avaient conservé la culture sociale de cette époque. Cette nation pratiquait encore l'antique règle mégalithique de la quadripartition traditionnelle. (A titre d'exemple, en 1860, la ville de Zeïtoun en Cilicie était toujours divisée en quatre quartiers et dirigée par quatre princes).
La quadripartition s'origine dans la nuit des temps mégalithiques. C'est la division sociale en quatre collèges : les paysans et artisans, les marchands et les financiers, les guerriers et les aristocrates, et enfin, les prêtres voyants et guérisseurs.
Chaque collège, chaque caste, a son propre fonctionnement, son système éducatif, son prince. Les quatre collèges doivent pour la survie de tous, travailler en collaboration. Aucun collège ne peut prendre le pouvoir sur les autres, car dans ce cas, il s'agit d'une dictature. Les celtes et leurs triades avaient tué la quadripartition, bien avant Rome.
Notre mot actuel de "quartier" n'est que la souvenance de cette organisation, qui, pendant des millénaires, à l'aube de l'Histoire, régla la vie de tous les peuples de la façade atlantique, de la Norvège au Sénégal.
C'est donc dans ce haut lieu de notre antique culture traditionnelle occidentale, un des derniers royaumes chrétien à rester sur le Moyen Orient, qu'arrivent, en cette triste année 1307, les amants de Mélusine, cette fée représentative de la wouïvre, énergie, sang subtil de notre mère la Terre.
C'est sur ces terres de Cilicie, coincés entre les turcs, les mongols et l'orthodoxe Byzance, que sont accueillis les Enfants de Maître Jacques et leurs connaissances sacrées. Et ils fondent famille, ils s'orientalisent.
Une des grandes spécialités de cette région est le travail de la miniature. Or, ils sont, ces enfants de Maître Jacques, imagiers, dessinateurs de vitraux, sculpteurs de chapiteaux.
Alors, ils font de l'image et celles de la Petite Arménie de cette époque sont célèbres par leur beauté.
Mais le temps des royaumes francs issus des croisades est bien révolu, et vers 1375, lorsque les janissaires de l'empire turc prennent pied en Petite Arménie, il faut à nouveau partir ou s'islamiser.
Bien sûr, certains restent et perpétuent la tradition du dessin ; ils participeront au XVème siècle à la fondation de l'ordre soufi des Nasqbandis, les dessinateurs.
C'est pourquoi, nous trouverons des frontispices des mosquées de cette époque, décorés du nom d'Allah avec des entrelacs dans la plus pure tradition celte. Quant à ceux qui ont décidé de partir, il n'y a que peu de destinations possibles. La puissance maritime et financière de l'époque était Venise, à qui les Lusignan céderont Chypre. C'est la raison pour laquelle on les retrouve à la fin du XIVème siècle en Italie où ils introduisent les jeux de cartes dits orientaux dont l'un, les Naibis, représenterait les 22 arcanes majeurs du Tarot.
Leur terreau social ayant disparu, ils ont dû constater qu'ils ne réussiraient pas leur implantation en terre étrangère. La Tradition, la transmission orale, de maître à apprenti, était rompue.
La Tradition, c'est un savoir qui doit se réadapter à chaque génération.
Voilà pourquoi ce savoir est oral.
L'écrit reste figé.
Alors ? Comment transmettre quand la tradition est rompue ?
On pense que ce sont ces derniers arrivants, ces grands maîtres de la miniature, les "sarrasins", comme les nommaient les italiens de l'époque, venus de la lointaine Petite Arménie qui, en pleine connaissance de cause décidèrent de mettre leurs connaissances sacrées dans un jeu de cartes : le Tarot.
Un jeu avec sa règle et ses images, un jeu d'argent, qui s'installe en une traînée de poudre dans les bistrots de l'Europe entière. Grâce à quoi il s'est transmis jusqu'à nous.
C'est une bouteille à la mer, une connaissance transmise, en aveugle, aux générations futures. A toutes fins utiles…
Sur ces premières cartes, nous découvrons les sept couleurs symboliques que nous retrouverons tout au long de l'exposition ; couleurs définies, entre autres, par la vieille phrase traditionnelle, encore chantée aujourd'hui par les compagnons du devoir : Blanches, les larmes de Maître Jacques Noire, la terre qui l'a porté Rouge, le sang qu'il a versé Bleus, les coups qu'il a reçus Jaune, la persévérance Verte, l'espérance.
Deux couleurs se rajoutent à cette liste, le célèbre bleu clair de Nicolas Conver, qui dans d'autres tarots anciens est en gris, et la couleur chair.
Ce sont ces phrases sybilines qui étaient dans la tête des imagiers lorsqu'ils mettaient en couleur.
Ils travaillaient pour le sacré, et, ils le savaient.
L'efficacité seule les intéressait, seul le message subliminal importait.
Le dessin parle à notre intellect, les couleurs à notre inconscient, par les masses et leurs places les unes par rapport aux autres.